Observatoire du nucléaire - Communiqué du jeudi 26 août 2010

 

De l'utilisation des effets d'annonce
concernant l'énergie nucléaire...

 
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Mercredi 25 août 2010, l'AFP édite une dépêche titrée "L'Egypte choisit le site de sa première centrale nucléaire" et dans laquelle on peut lire que le site de "Al-Dabaa sera l'emplacement de la première centrale électrique fonctionnant à l'énergie nucléaire en Egypte".
 
Or, il y a deux ans et demi, le 10 janvier 2008, l'AFP éditait une dépêche titrée... "L'Egypte choisit un site pour implanter sa première centrale nucléaire". On apprenait alors que le site en question était... Al-Dabaa.
 
On constate donc aisément - à condition d'avoir des archives à jour ! - que l'annonce du 25 août ne correspond à rien de réel, mais qu'elle relève de la communication politique. Les médias ne sont pas toujours irréprochables mais, en l'occurrence, l'AFP ne fait que rendre compte des annonces faites officiellement par les dirigeants égyptiens.
 
Il n'a échappé à personne que l'Iran a lancé cette semaine, avec tambours et trompettes, le chargement de sa centrale nucléaire de Bushehr. Il est évident que l'annonce égyptienne ne vise qu'une chose : sauver la face en prétendant face au monde "Nous aussi, nous sommes capables d'avoir une centrale nucléaire".
 
De toute évidence, les dirigeants égyptiens sont plus inquiets de la montée en puissance - nucléaire et géostratégique - de l'Iran que du voisinage d'Israël qui possède pourtant des installations et des armes nucléaires depuis fort longtemps. Le fait est qu'Israël est destinée à rester largement voire totalement isolée au Proche-Orient, alors que l'Iran gagne du terrain.
 
Politiquement, le pays qui annonce qu'il va "bientôt" avoir une centrale nucléaire est censé se donner du prestige, en affichant une compétence technologique qui est pourtant bien virtuelle car seulement détenue par le pays fournisseur : ouvrir son carnet de chèque ne signifie pas maestria technologique.
 
Mais une telle annonce joue aussi sur l'inévitable ambiguïté de l'industrie de l'atome : signifier que l'on progresse sur le plan du nucléaire "civil" laisse entendre que ces progrès concernent peut-être, secrètement, le nucléaire militaire.
 
La communication égyptienne est principalement destinée à l'opinion publique car elle n'a aucune chance de tromper les dirigeants des autres pays - Iran et Israël en tête - dont les services secrets surveillent continuellement le dossier nucléaire : contrairement à l'Iran, qui s'est donné de longue date des objectifs et des moyens concernant le nucléaire, et qui maîtrise parfaitement l'enrichissement de l'uranium, l'Egypte est quasiment au niveau zéro.
 
Plaçons nous néanmoins dans l'hypothèse où la centrale nucléaire annoncée verrait effectivement le jour.
 
Notons déjà que, contrairement à ce qui est annoncé, ce ne serait en rien une garantie d'indépendance énergétique : cette centrale "égyptienne" serait construite par un pays tiers, vraisemblablement les USA, dont les techniciens seraient indispensables pour faire fonctionner la centrale et qui fournirait par ailleurs le combustible approprié. Il n'est pas difficile de comprendre que le pays fournisseur aurait alors de terribles moyens de pression politique sur l'Egypte, contrainte d'obéir aux consignes données sous peine de voir "sa" centrale nucléaire à l'arrêt. (*)
 
Autre question : cette centrale est censée alimenter en électricité des millions d'habitants qui, il est vrai en ont bien besoin. Or la dépêche AFP du 25 août nous apprend que "aujourd'hui la population est victime, surtout en été, de longues et fréquentes coupures de courant dues à un réseau ancien et insuffisant."
 
Or il n'y a rien de plus absurde que vouloir insérer une centrale nucléaire dans un réseau électrique "ancien et insuffisant". La production électrique nucléaire, extrêmement centralisée, serait quasiment impossible à écouler et transporter. Certes, il est possible de rénover ce réseau mais il faut savoir que de tels travaux coûtent pratiquement aussi cher que la centrale elle-même, voire plus suivant l'état du réseau en question.
 
Finalement, une lueur d'espoir transparaît quand même dans la dépêche : "Le pays ambitionne également de produire 20% de son électricité à partir d'énergies renouvelables (solaire, éolienne) d'ici 2020." Investir dans les énergies renouvelable, voilà qui apparaît beaucoup plus réaliste. Ce serait pour le coup un réel vecteur d'indépendance énergétique, et donc politique et géostratégique. Les risques et les déchets radioactifs en moins.
 
Mais il est vrai que les éoliennes et les panneaux solaires ne sont pas encore porteurs de prestige pour les dictateurs qui préfèrent encore jouer les Tartarins radioactifs…

(*) Cette soumission est inévitable pour tout pays qui achète une ou plusieurs centrales nucléaires : contrairement à ce qui est si souvent affirmé, le nucléaire n'est donc pas facteur d'indépendance énergétique mais, à l'inverse, de dépendance et de soumission (nous n'évoquons pas ici les risques d'accident et les déchets radioactifs : c'est un autre sujet… tout aussi important).

OBSERVATOIRE DU NUCLEAIRE