Observatoire du nucléaire

Courrier à l'AFP

Lundi 18 mars 2013

 

 

Madame, Monsieur,

 

Vous avez publié le samedi 9 mars 2013 une dépêche, titrée "Niger : Areva offre 35M€ pour sécuriser ses sites d’uranium", qui rend compte du point de vue d'Areva dans l'affaire du "don" au Niger, affaire déjà évoquée dans quatre dépêches AFP précédentes :

 

12 décembre 2012 - Le Niger veut s'acheter un avion présidentiel grâce à Areva, qui dément

13 janvier 2013 - Areva va offrir 35 millions d'euros au Niger sur 3 ans

14 janvier 2013 - Aide d'Areva au Niger : une ONG réitère ses accusations de corruption

29 janvier 2013 - L'Observatoire du nucléaire craint pour sa survie avec le procès Areva

 

Pour mémoire, en tant que Directeur de l'Observatoire du nucléaire, je suis assigné à comparaître le 20 décembre prochain au TGI de Paris, par Areva qui m'accuse de diffamation justement à propos de ce fameux don.

 

Comme vous pouvez le constater, les affirmations d'Areva rapportées dans la dépêche du 9 mars 2013 diffèrent fortement des informations diffusées par les précédentes dépêches. Il est même légitime de parler de "réécriture de l'histoire" de la part d'Areva.

 

En particulier, on notera des changements saisissants entre la dépêche du 13 janvier ("Areva va offrir 35 millions d'euros au Niger sur 3 ans") et celle du 9 mars ("Niger : Areva offre 35M€ pour sécuriser ses sites d’uranium")

 

Nous vous prions donc de trouver ci-dessous une mise au point afin que les lecteurs puissent noter la façon dont Areva s'arrange avec la réalité.

 

Bien cordialement

Stéphane Lhomme

Directeur de l'Observatoire du nucléaire

 

 

 

Don de 35 millions au Niger : l'Observatoire du nucléaire accuse Areva de réécrire l'histoire

 

Le 11 décembre 2012, par communiqué, l'Observatoire du nucléaire a accusé Areva de s'être livrée à "une manoeuvre de corruption, probablement sur le plan légal et assurément sur le plan moral", du fait du versement d'un curieux "don" au budget du Niger.(*)

 

L'Observatoire du nucléaire a aussi affirmé que la somme versée allait servir en partie à l'achat d'un nouvel avion pour le Président du Niger, Mahamadou Issoufou, qui est par ailleurs un ancien cadre d'Areva. Mais l'utilisation finale de cet argent est en fin de compte secondaire : c'est le versement en lui-même, et sa "justification", qui est au cœur du problème.

 

Le lendemain, 12 décembre 2012, interrogé par l'AFP, Zakari Oumarou, président du groupe parlementaire du Parti nigérien pour la démocratie et le socialisme (PNSD, au pouvoir), reconnaissait l'existence de ce don : "Areva a accordé au Niger une aide budgétaire sans conditions et non ciblée de 17 milliards FCFA (environ 26 millions d'euros)"

 

Pourtant, toujours d'après l'AFP, "le groupe nucléaire français, qui exploite depuis des décennies l'uranium dans le nord du pays, a démenti le versement d'une aide budgétaire qui suscite la polémique."

 

Dénonçant une "diffamation", Areva a d'ailleurs assigné en justice Stéphane Lhomme, en tant que Directeur de l'Observatoire du nucléaire, pour le 1er février 2013 au TGI de Paris (l'audience ayant ensuite été fixée au 20 décembre 2013).

 

Malgré les dénégations d'Areva, dans une dépêche AFP publiée le 13 janvier 2013, les autorités nigériennes ont confirmé la réalité du "don" : « "Prenant en compte le manque à gagner généré par le report de l'exploitation d'Imouraren, Areva s'engage à soutenir financièrement l'Etat du Niger en mettant à sa disposition 35 millions d'euros, soit 23 milliards de FCFA", a affirmé Hassoumi Massaoudou, le directeur de cabinet du président nigérien ».

 

Mieux : le 14 janvier 2013, l'Observatoire du nucléaire a rendu public le compte-rendu confidentiel (**) d'une rencontre qui a eu lieu le 9 novembre 2012 à Paris entre M. Hassoumi Massaoudou et trois hauts dirigeants d'Areva dont Olivier Wantz, Directeur général adjoint d'Areva.

 

La conclusion de ce document, dont on apprendra par la suite qu'il a aussi été publié par le quotidien nigérien "L'Enquêteur", dans son numéro 669 daté du 8 janvier 2013, est explicite :

 

"Considérant la résolution prochaine des différents points évoqués dans ce compte-rendu ainsi que la poursuite d'une coopération sereine entre l'État du Niger et AREVA et prenant en compte le manque à gagner généré par le report probable du projet Imouraren au-delà de 2014, AREVA s'engage à soutenir financièrement l'État du Niger en mettant à sa disposition la somme de 35 (trente-cinq) millions d'Euros sous la forme de paiements successifs de 16 (seize) millions d'Euros en 2013, 10 (dix) millions d'Euros en 2014 et 9 (neuf) millions d'Euros en 2015"

 

Notons que l'authenticité de ce document est certaine puisque, lors d'une Conférence de presse qu'il a tenue le samedi 12 janvier (***), M. Massaoudou, le directeur de cabinet du président nigérien, s'est élevé contre la publication de ce document, mais sans en contester l'authenticité, bien au contraire puisqu'il s'est expliqué sur son contenu.

 

La lecture attentive du document en question montre que les "différents points évoqués dans ce compte-rendu" concernent le marché mondial et les prix de l'uranium, les caractéristiques matérielles et géologiques du projet d'Imouraren, les priorités politiques du Président du Niger (qui a besoin que la mine soit ouverte… avant l'élection présidentielle de 2016 !), etc, mais à aucun moment il n'est question de danger terroriste, de risques d'enlèvement, ni même des salariés d'Areva otages depuis 2010.

 

Or, comme l'AFP en fait état dans la dépêche du 9 mars, Areva - qui n'ose plus démentir l'existence même du "don" - prétend subitement, par la voix d'Olivier Wantz, "avoir offert 35 millions d'euros au Niger pour l'aider à sécuriser ses sites d'uranium, démentant que ce don soit destiné à compenser le retard dans l'exploitation de la mine géante d'Imouraren, repoussée à 2015"

 

Olivier Wantz semble donc avoir "oublié" ce qui a été dit - y compris par lui-même ! - lors de la rencontre confidentielle du 9 novembre 2012 à Paris avec M. Hassoumi Massaoudou. En réalité, il apparaît clairement que Areva tente de réécrire l'histoire.

 

En particulier, Areva tente d'expliquer son "don" de 35 millions d'euros au Niger par des évènements - comme l'intervention militaire de la France au Mali, pays voisin du Niger, en janvier 2013 - qui ont eu lieu… après la décision d'Areva de faire ce don.

 

Si Areva tente ainsi de réécrire l'histoire, c'est parce que la réalité donne entièrement raison à l'Observatoire du nucléaire : aujourd'hui comme hier, Areva fait la loi au Niger, en particulier concernant le prix - dérisoire - d'achat de l'uranium. Et, pour faire patienter les dirigeants du Niger, Areva se livre à des manœuvres relevant de la corruption, peut-être sur le plan juridique, assurément sur le plan moral, comme avec ce fameux "don" de 35 millions d'euros.

 

Pour l'Observatoire du nucléaire, il n'est donc pas anormal que le Niger reçoive de l'argent de la part de la France, mais cela ne peut relever que d'une augmentation du prix de l'uranium ou bien de légitimes taxes que le Niger appliquerait à Areva, par exemple pour réparer autant que faire se peut les dommages causés par la multinationale de l'atome.

 

Mais il est insupportable de voir Areva attribuer de son propre chef une somme au Niger, comme un "généreux donateur" venant au secours d'un déshérité. Et d'autant que cette somme est dérisoire comparée aux profits réalisés par Areva depuis 50 ans au dépend du Niger dans le cadre de méthodes qui relèvent littéralement du pillage.

 

 

Stéphane Lhomme

Directeur de l'Observatoire du nucléaire

Lundi 18 mars 2013

 

 

(*) Le montant de ce don était annoncé au départ de 26 millions d'euros, mais il est apparu par la suite que la somme exacte était de 35 millions : 16 millions d'euros pour 2013, 10 millions pour 2014 - ce qui donne bien 26 millions - mais aussi une troisième "tranche" de 9 millions pour 2015.

 

(**) Lire le document ici : http://observ.nucleaire.free.fr/reunion-confidentielle-areva-niger.pdf

 

(***) Lire le compte-rendu de cette Conférence de presse : http://bit.ly/10AZRWK


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